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De la formation entre Nouvelle-Zelande et Europe au cockpit de l'A380. Recits et anecdotes d'un Pilote de Ligne.

Toronto par temps de Covid19

Toronto — 19 mars 2020,

Confiné dans ma chambre d’hotel, je decide d’un moment seul pour écrire quelques lignes sur ma tablette.

Nous avions quitté Dubai avec cinq petites minutes de retard sur l’horaire: le copi’ en fonction avait été appelé sur un autre vol et je prenais sa place pour le départ en attendant que son remplaçant nous rejoigne à l’avion. Pas trop mal non plus à la vue du remplissage. Le vol EK241 était plein à craquer comme à son habitude.

Depuis le debut de l’épidémie de Covid-19 puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler, et les premières annulations de vols vers Shanghai et Canton, je n’avais pas encore tout à fait pris la mesure de la situation.

Certes, je suis allé a Hong Kong et nous sommes restés à l’hotel avec masques et gel hydro-alcoolique.

Puis j’ai fait un “Milan-New York” — version courte pour Dubai — Milan — New York — Milan — Dubai. Petite rotation d’une semaine avec trois jours dans la capitale lombarde durant lesquels je n’ai quitté l’hotel que pour savourer une pizza chez Antonio, le patron de l’Osteria, fameux parmi les équipages en escale, et qui nous remercie toujours avec un petit verre de limoncello.

C’était il y a plus de trois semaines évidemment et jusque là, les remplissages restaient bons. La vie suivait son cours et les gens lavaient enfin leurs mains!

Mais maintenant, tout s’accélère.

Au moment de demander le repoussage de notre vol vers Toronto, il n’y avait qu’une vingtaine de routes suspendues et la France entrait tout juste en confinement.

13h31 de vol auront suffi pour qu’entre temps, l’ensemble du training soit suspendu, la validité de nos licences étendue de quatre mois et la liste des vols annulés de s’allonger considérablement.

Mon Maurice et Melbourne viennent de sauter.

La demande a fortement diminuée mais surtout les pays ferment leurs frontières les uns après les autres.

A la fermeture de l’Espace Schengen, s’est ajoutée la fin des visas aux Emirats. L’Inde vient aussi d’annoncer la suspension des vols internationaux qui représentent une grande partie de notre flux.

Certes la demande en cargo explose avec la suspension des vols passagers mais malgré le prix du pétrole qui vient de s’enfoncer brièvement sous les 20$, l’avenir à court terme de l’A380 est de plus en plus compromis.

Alors que d’autres compagnies mettent la clef sous la porte et que nombre d’amis et collègues se retrouvent au sol, je me sens quand même privilégié d’être dans une compagnie comme Emirates qui peut s’appuyer sur un réseau particulièrement diversifié pour atténuer les effets de cette crise désormais mondiale.

Demain, je profiterai de la nuit étoilée sur l’Atlantique en espérant pourquoi pas, y croiser quelques aurores boréales.

Au départ, on aura aussi regardé encore une fois les étendues gelées du Grand Nord avant d’obtenir la clairance de traversée océanique avec Gander.

Je doute que l’on soit très nombreux sur cette autoroute du ciel que représente les North Atlantic Tracks.

Les NATs donc, sont publiées deux fois par jour.

Elles doivent permettre d’absorber la majorité du trafic transatlantique dans un environnement sans radar. Leur position évolue en fonction de la latitude des jet-stream avec pour objectif de diminuer le temps de traversée.

Quelques points d’entrée, de sortie, des coordonnées géographiques et un changement de contrôle situé à 30W en définissent les contours.

ADS-B et CPDLC obligatoires car depuis quelques temps, on utilise principalement ce moyen de communication par texte qui permet au contrôle de vérifier que nous avons saisi la route correcte dans l’ordinateur de bord.

J’apprécie ces transatlantiques nocturnes qui mêlent l’hostilité des régions survolées et complexité technique. Alors certes, on ne “plot” plus sur une carte papier depuis deux ans et la combinaison IRS-GPS-FMS laisse peu de place à l’imprécision du positionnement mais les distances réduites entre les Tracks et la grande densité du trafic -en temps normal- nous obligent à suivre méthodiquement les procédures mises en place par la compagnie et l’OACI.

Une fois en l’air et particulièrement aux abords de la traversée, il faudra surveiller nos terrains de dégagement. La TV annonce que demain la météo de la Côte Est ne sera pas très clémente. Je jette un oeil aux prévisions aéro.

Des rafales à 45kts et de l’orage sont prévus au départ. Boston, Montréal, Gander et Goose Bay prévoient de la neige avec des visibilités limitées; ça m’a l’air meilleur sur Keflavik et l’Europe mais pas brillant à Dubai non plus. Orages et pluies attendues pour le weekend, rien ne va plus!

Ding… encore un mail de la compagnie.

A notre retour, nous devrons nous soumettre à un test Covid-19 puis entrer en quarantaine jusqu’a notre prochain vol.

Je me dis qu’il faudra que je profite de ce dernier vol car mon planning est de plus en plus vide…

Je ne le sais pas encore mais la compagnie va mettre la quasi totalité de ses avions passagers au sol peu après mon retour.

PS: Effectivement, j’ai eu de la chance!

 

 

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À propos

Pilote de Ligne. Ancien Cadet CTC Wings (formation en Nouvelle-Zelande a l'origine de ce blog)
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