*Le 9 mai 1926, Richard Byrd, à bord de son Fokker F.VII, survolait pour la première fois de l'Histoire le Pôle Nord géographique - du moins selon ses déclarations, il l'aurait en fait manqué d'une centaine de kilomètres.*
20 mai 2016, vol EK215 DXB-LAX, 36,000ft, quelque part au Nord de la Russie
Autre époque, autre temps, c'est toujours avec un certain esprit d'explorateur que je sors de ma couchette, traverse le pont supérieur et rejoins le poste de pilotage.
Il est temps de relever l'équipage en fonction.
Voilà bientôt huit heures que notre géant des airs, plein de ses 210 tonnes de kérozène, poursuit sa route vers le Nord. Nord magnétique d'abord, et depuis quelques degrés de latitude, Nord vrai.
En cabine les services commerciaux s'enchaînent pour subvenir aux besoins carnivores de nos cinq-cent passagers.
Le bar est comble mais peu de clients ne semblent se soucier de ce qui se passe sous leurs pieds.
Le ciel est couvert mais les nuages se fragmentent parfois, laissant entrevoir une vaste étendue blanche parsemée de quelques craquelures: la banquise, immense couche de glace à la dérive.
L'avion est devenu un moyen de locomotion si commun que l'on oublie souvent la prouesse technique, les exploits accomplis par nos ancêtres, les râtés aussi, qui nous ont amenés là.
Les dernières informations reçues des Opérations Aériennes n'indiquent pas d'activité géomagnétique anormale ni de tempête solaire.
VHF, ACARS, HF, plus aucun de nos moyens primaires de communication n'est totalement fiable.
Si loin de tout - on parle ici de plusieurs milliers de kilomètres de la première piste pouvant nous accueillir - nos stratégies de dégagement sont en place mais il nous faut faire confiance aux années d'expériences de l'avioneur européen et à l'expertise de ses motoristes pour espérer que tout reste en ordre.
A 13h42 Zulu (UTC), alors que nous atteignons notre latitude la plus élevée, l'ordinateur de bord confirme notre position: 89º20.2N/041º24.3W
89 degrés, 20 minutes, 12 secondes Nord, soit environ à 40 nautiques du Pôle.
Les méridiens défilent sous nos pieds à pleine vitesse et tel le train au sommet de la montagne russe, nous entammons notre descente vers le Sud.
J'immortalise dans ma tête ce moment avant de reporter la posiiton sur la carte papier.
Puis en comptemplant la vue exceptionnelle qui m'est offerte, j'assiste à l'éclatement de la banquise au fur et à mesure que nous nous rapprochons de l'Equateur.
Les premiers icebergs, puis la terre couverte de neige, les lacs gelés de l'extrème-nord Canadien, les premières villes, Vancouver, Portland, Seattle et enfin la côte californienne s'offrent à nous.
Du fait de notre route, le soleil ne s'est jamais couché et c'est par un grand ciel bleu, 15 heures et 15 minutes après notre décollage de Dubai, que le Commandant pose grâcieusement l'A380 "United for Wildlife" sur la piste 24R de Los Angeles International LAX.
Alors que nous avions fait le demi-tour de la Terre en quelques secondes, il nous faudra, pris dans le rush-hour du weekend, pas moins de 3h30 pour rejoindre notre hôtel.
Qu'il est parfois difficile ce retour au sol.
Pierre