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De la formation entre Nouvelle-Zelande et Europe au cockpit de l'A380. Recits et anecdotes d'un Pilote de Ligne.

Destination Sao Paulo

Dubai — 6h00 — le téléphone sonne.

J’ouvre les yeux, 708, c’est la compagnie. *”We need you for a Sao Paulo flight, pick up is in 30 minutes”.*

Je ne serais pas resté bien longtemps à attendre un coup de fil. On vient de me déclencher dès la première minute de l’astreinte.

A peine le temps de sauter sous la douche, d’enfiler l’uniforme, de sélectionner la pile “climat chaud”, d’y ajouter un pull et je suis déjà dans la voiture de la compagnie en route vers les opérations.

En raison de la forte demande en sièges, la compagnie a décidé d’opérer la liaison Dubai-Sao Paulo en Airbus 380 depuis peu, nous prenons donc le relais du Boeing 777.

Par chance, avec le même vol prévu un peu plus tard dans le mois, j’avais déjà pu étudier les procédures spécifiques des pays que l’on survolera.

Ils seront nombreux puisqu’après Bahrein et l’Arabie Saoudite, nous traverserons l’Afrique d’Ouest en Est.

Le Soudan d’abord, puis viendront le Tchad, le Nigéria, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire et enfin l’espace aérien océanique géré par Dakar, dernier contact avant de poursuivre vers un nouveau continent.

Une vraie leçon de géographie africaine: avec le nom de la ville d’où s’opère le contrôle aérien, il faut trouver son pays — Khartoum, N’Djamena, Kano, Lome, Accra etc..

Je suis aux commandes et après avoir laissé décoller un C135 Hercules, les 564 tonnes de notre Airbus s’élancent le long de la piste 12R par une température extérieure de 40 degrés.

Plusieurs longues secondes d’accélération et dans un rugissement pourtant si sourd dans le poste, les quatre moteurs GP7270 s’arrachent au sol.

Clairance de montée à répétition en raison du turboprop militaire que l’on rattrappe, il finira par suivre une route divergente nous permettant d’accélérer avant d’accrocher le premier niveau de croisière de 32,000ft.

Nous avons déjà englouti presque 15 tonnes sur les 202 tonnes de kérozène écoulées dans les réservoirs au départ de Dubai.

Laissant sur notre gauche Doha que nous ne desservons plus depuis la montée des tensions entre nos deux pays, nous entamons un virage cap à l’Ouest.

S’il existe beaucoup d’options de dégagement durant les premières heures du vol, les choix s’amenuisent alors que la péninsule arabique est maintenant derrière nous.

Il y a bien Addis au Sud, mais à choisir, on reviendra sur Jeddah — c’est une des nos destinations en A380, ils ont l’habitude.

Devant, à près de 2500 miles nautiques — environ 4600km. — Accra sera le prochain aéroport réellement envisageable.

Certes il y a en route quelques terrains comme N’Djamena sur lesquels on pourrait poser l’avion en cas de problème majeur, mais une fois au sol la situation risque d’être délicate tant ces infrastructures n’ont pas été conçues pour un “Super Heavy” et son demi-millier de passagers.

Accra a publié par NOTAM — mémos adressés “aux aviateurs” — que le taxiway de dégagement est fermé. Si on pose il faudra faire un demi-tour sur la piste. Si cette manoeuvre était relativement facile sur l’A320, l’envergure du 380 la rend d’autant plus compliquée que nous disposons de très peu de marge.

Si possible, on préférera alors Abidjan. Ca tombe bien, le Commandant et moi sommes francophones.

Beaucoup de “si” qui traduisent l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons lors de ces vols au long cours.

La traversée de l’Atlantique Sud n’est guère moins hostile, si ce n’est Ascencion — je vous laisse zoomer sur un atlas en ligne — qui pose les mêmes problèmes que N’Djamena, l’océan remplace le sable à perte de vue.

En permanence donc, l’équipage en fonction mettra à jour son schéma mental, sa “Situational Awareness”.

Le mélange des expériences complète le tout. Si c’est mon premier survol de l’Afrique saharienne, les deux Commandants, anciens du 330–340, connaissent bien ces terrains.

Les évolutions technologiques et les investissements dans l’équipement du Contrôle Aérien ont améné dans certains pays le CPDLC — sorte de SMS de l’aérien entre pilotes et contrôleurs — et la couverture VHF plus ou moins réussie. On transmettra quand même nos paramètres de vol sur la fréquence Air-to-Air d’auto-information 126.9

Après environ 7h de vol et quelques évitements d’orages violents, nous attaquons la traversée de l’Atlantique. 3000nm — environ 5500km — d’océan sous nos pieds.

Moins d’un siècle après Mermoz, nous tirons une route plus au Sud, divisant par trois le temps qu’il aura fallu au “Comte-de-la Vaulx” pour relier Saint-Louis à Natal.

Et quel confort: quatre moteurs des plus fiables, un équipement de bord capable d’une précision au centième de mile nautique, trois VHF (bien qu’assez peu utile au milieu de l’Atlantique), deux HF, deux téléphones satellites — SATCOM — pour contacter le sol ainsi qu’un suivi ADS-B/C et le CPDLC.

Les couchettes de repos et le service à bord ont beau fait d’achever l’aventure d’une telle mission.

Et pourtant, lorsqu’au loin sur l’horizon apparaissent les côtes brésiliennes, c’est un léger soulagement mêlé à l’excitation de la découverte de nouveaux paysages qui s’empare de moi.

Qu’il est beau mon bureau. On y voit Rio et le Christ Redempteur, les collines boisées puis vient le début de descente

Un joli raccourci offert par le contrôle aérien nous fait passer sur les innombrables tours de Guaruhlos.

13 heures 43 minutes après avoir quitté Dubai, je pose mes vingt-deux roues sur la piste 09L de Sao Paulo; mon premier contact avec l’Amérique du Sud.

Pierre

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À propos

Pilote de Ligne. Ancien Cadet CTC Wings (formation en Nouvelle-Zelande a l'origine de ce blog)
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P
Merci Pierre, pour cette belle histoire
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